DESIRE
L'entresol di Younes Baba-Ali
Intervista di Paola Bommarito

Younes Baba-Ali, L’entresol, 2011. Courtesy the artist

 

INTERVIEW

PB Le mot “entresol” est par définition quelque chose qu’est placé dans le milieu, entre deux plans. En tout cas le lieu d’intersection est entre Tangere et Marseille. D’où vient cette réflexion sur un espace qui sépare?

YBA L’entresol est l’étage entre le rez-de-chaussée et le premier étage d’un immeuble. Cette pièce sonore est une métaphore de mon rapport avec mon territoire d’origine, le Maroc, et le territoire dans lequel j’ai grandi, la France. Cet entresol est un passage imaginaire entre ces deux cultures si proches et si lointaines en même temps. Marseille et Tanger sont pour moi des portes d’accès entre deux cultures. Marseille, surnommé aussi la porte de l’Afrique, est une ville multiculturelle avec une grande immigration/influence maghrébine. Tanger est la pointe extrême du continent africain, la porte vers l’occident, une ville qui s’est beaucoup nourrit de ses visiteurs, de ses artistes et intellectuels internationaux.

PB Le bruit des portes, les murmures et la vocifération des enfants tracent une atmosphère intime, familiale, aussi que les deux différentes chansons. La première a certainement une harmonie  nostalgique, la deuxième nous rappelle une plainte religieuse. Qu’est-ce que nous content ces chansons? Quelle est ta référence en le citant?

YBA La première chanson est un classique de la chanson française “Mon amant de Saint-Jean”, une chanson populaire écrite en 1942 et interprétée par Lucienne Delyle, puis reprise par Edith Piaf. Elle est ici dans cette enregistrement joué par un orgue de barbarie, dans les rues de Marseille. La seconde partie de l’enregistrement correspond à des prières musulmanes, que j’ai pu enregistrer à l’entrée d’une mosquée à Tanger. La musique et les chants sont très répondu au Maroc, notamment par l’éducation religieuse. Je trouvais intéressant de confronter ces deux univers sonores, l’un lié à la culture populaire française et l’autre à la culture musulmane, tous les deux dans un même espace temps.

PB En L’Entresol ce qui nous écoutons est un soundscape, un paysage sonore, un portrait  audio d’une certaine ambiance?Pourquoi tu as choisi de ne pas le rapprocher, mais en tout cas de mettre dans le même “paysage” deux villes différentes. Comment as-tu réussi à tenir dans le même portrait deux environnements sonores si différents?

YBA L’entresol est bien un paysage sonore, je dirais même un paysage mental, né de ma situation ayant vécu et grandi entre deux cultures, deux éducations, ou la matière sonore à pu me bercer et me nourrir. Pour moi ces deux villes, ces territoires, font partie de moi même, de mes déambulations, de mes inspirations, je ne peux les distinguer. Cette métaphore de l’ascenseur est là pour questionner le déplacement physique entre ces territoires. L’ascenseur est ici comme une machine à voyager, qui ne demande ni contrainte socio-politique, ni contrainte physique ou temporelle. Pas besoin d’avoir un visa pour prendre l’ascenseur! C’est une grande chance pour moi de pouvoir circuler aussi fluidement entre ces territoires, je m’en suis rendu compte grâce à mes amis marocains, qui ne rêvent que de venir en Europe pour y travailler ou étudier, mais qui se retrouvent dans la contrainte financière ou bien d’autorisation de visa. Cette entresol est un passage mental qui défie toute contrainte liée à des problèmes réel, permettant à l’esprit de voyager et de vagabonder lorsqu’il le désire, par le biais du son.

PB Dans ton travail comment tu affrontes la question de l’identité dans une société multiculturelle? Ou si tu veux une identité multiculturelle dans la société? L’espace que tu as construit dans ta vidéo installation Différence peut être un espace de confrontation?

YBA Différence, ou bien “Roznica” en polonais, est un projet très spécifique, une de mes premières installation vidéo, que j’ai réalisé à partir d’un séjour à Wroclaw (Pologne) en 2008. C’est un projet qui c’est crée en deux temps. Tout d’abords j’ai récolté des portraits vidéo auprès d’amis et de rencontre entre Wroclaw et Strasbourg. L’idée était de proposer à ces personnes dans un cadre intime de s’exprimer par les moyens qu’il désire sur l’idée ou la notion de “Différence”. J’ai pu ainsi récolter 36 témoignages vidéo, dans différentes langues, du polonais au chinois, en passant par le lingala. Par la suite ces vidéos ont été réparties et diffusée sur 6 moniteurs en boucle dans un espace noir. De cette façon, je propose au spectateur de ce confronter à d’autres types de comportements, de langages, d’idées, d’apparences qui le ramènent directement à sa propre différence. Ce projet n’est pas né par hasard en Pologne, car cette expérience m’à permis de savoir d’où je venais.

PB Dans ton travail tu utilises les objets quotidiens pour faire une critique aux models de vie qu’aujourd’hui nous suivons: TV, sechecheveux ou le pen cap qui génèrent un son répétitif de Tic nerveux. Qu’est ce que tu cherches dans la dysfonction de ces objets? Est-ce que celui-là est le son d’une société nerveuse et obsessionnée?


YBA A partir d’objets et de situations quotidiennes, j’essaye de questionner le rapport de l’individu à son environnement familier. En détournant des objets du quotidien de leur fonction d’origine, je les rends autonomes et transforme nos relations à ceux-ci, soulignant de fait un attachement à révéler les relations d’habitude, de pouvoir ou de possession que nous entretenons avec les choses. Bien que fonctionnels, les objets tels que je les présente sont désormais inutilisables et conditionnent l’espace de monstration et les spectateurs de ce qu’ils peuvent générer comme pression sonore.

Mes projets prennent position du lieu dans lequel le spectateur se situe, instituant ainsi un espace de cohabitation.

PB Certaines de tes travails sont des installations sonores interactives, comme Horn Orchestra, qui utilise comme instruments des clacksons, ou Néon Sonore. Dans quelle manière  tu conçois la participation du spectateur dans tes oeuvres? Dans quelle mesure cette  interaction fait partie de l’oeuvre même?

YBA Une grande partie de mes pièces s’activent à la présence du spectateur. C’est pour moi une façon d’intégrer le visiteur au processus artistique, affirmant que sans lui, l’oeuvre ne peut exister. Il n’est plus qu’un simple regardeur, il est invité à porter un regard nouveau sur ce qu’il a déjà vu, en le questionnant sur ses droits par rapport à l’oeuvre. Il faut envisager cette démarche comme une métaphore des relations humaines, puisqu’à l’image de l’homme, les oeuvres ne communiquent que si nous allons vers elles. Je joue avec les codes de monstration de l’oeuvre et les contourne, juxtaposant à la question de la nature et du statut de l’objet, une réflexion sur les rapports entretenus entre l’art et son public mais aussi entre l’art et l’institution muséale. Dans ce contexte, je cherche à m’éloigner d’une vision globale de l’art que je définirais comme “sacrée“, en incitant le public à établir un contact direct avec l’oeuvre, action généralement compromise dans le musée ou la galerie.

PB Call for Prayer – Morse” est une installation dans laquelle par un mégaphone, à une certaine heure, se répande l’appel à la prière en signal Morse. Peux-tu me parler s’il te plait de cette oeuvre? En particulière de la relation entre la religion musulmane, à laquelle tu fais référence, et ton travail?

YBA En fait ce projet consiste à diffuser l’appel à la prière en signal morse à l’aide d’un mégaphone disposé dans l’espace public, qui se déclenche aux heures de prière correspondant à la ville d’exposition. C’est pour moi une forme de décontextualisation temporelle entre deux cultures, en déplaçant un temps qui correspond à celui d’un pays musulman en occident. Il s’agit ainsi d’aborder la question de la religion: le son de la cathédrale et de la mosquée rythment la vie des individus, croyants ou non. Le fait religieux m’interpelle en soi, il est aussi lié à des questionnements personnels, à mon origine et à mes expériences. Issu de deux cultures, je les aborde avec un certain recul. Dans ce travail, mon intention   est de les switcher, de faire passer l’un et l’autre de chaque côté de la frontière uniquement grâce au son. Mes installations ont un certain regard critique mais je préfère qu’elles soient considérées comme des questions ouvertes. Je veux éviter que mes pièces soient vues uniquement sous l’angle de la question de l’immigration par ex. Je me bats pour que mes pièces restent accessibles dans un rapport d’intimité et d’expérience.

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Younes Baba-Ali is a multi-disciplinary artist whose work incorporates sound material. He experiments with the capacity of sound to propagate through space and to directly engage the body of the viewer in the artistic process. Baba-Ali has recently exhibited his work at l’Appartement 22 (Rabat), Bozar (Brussels), AIM Biennial (Marrakech), Sketch Gallery (London), BJCEM Biennial of Young Artists from Europe and the Mediterranean (Skopje), International Media Art Biennial WRO (Wroclaw), Le Syndicat Potentiel (Strasbourg), Loop Video Art Festival (Barcelona) and In-Sonora Sound Art Festival (Madrid).