Gettare il corpo nella lotta
Le sable passe par la fenêtre
di Taysir Batnij

Depuis quelques années, les Gazaouis qui ont la possibilité de voyager à l’étranger n’ont qu’une seule voie de passage : l’Egypte. En effet, depuis la seconde Intifada, soit l’aéroport de Tel-Aviv est fermé aux Palestiniens, soit les permis pour sortir de Gaza ou de la Cisjordanie pour se rendre à l’aéroport sont quasiment impossibles à obtenir.

Les habitants de la Bande de Gaza qui possèdent un visa et un billet d’avion pour partir du Caire sont obligés de se rendre à la frontière égyptienne un ou deux jours avant l’heure du départ. Arrivés à la frontière (à Rafa, au sud de Gaza) vers « x » heure du matin pour procéder à l’enregistrement, ils doivent obtenir une place dans un taxi collectif qui emmène les voyageurs et les bagages vers le poste frontalier égyptien en passant par un contrôle israélien. Un long moment de paranoïa et de surréalisme : les taxis franchissent une première grille et s’alignent de façon à ce que des soldats israéliens planqués dans des tours en béton couvertes de camouflage, ne laissant paraître que le bout de leur fusil, puissent les surveiller. Dix ou douze personnes (femmes, hommes et enfants) s’entassent dans une voiture normalement conçue pour six ou sept personnes. L’attente peut durer d’une à deux heures. Ensuite une deuxième grille est franchie : une seule voiture passe. La voiture arrive au poste de contrôle israélien. Autour, des miradors et des murs de bétons. Personne ne peut descendre du côté gauche de la voiture ; les passagers sont obligés de descendre du côté droit seulement. Au loin, un soldat armé fait des signes. Les passagers doivent y être attentifs pour que le contrôle se passe « sans problèmes ». Les passagers pénètrent dans un couloir très étroit encadré par des barres de métal pour accéder à la machine de détection de métaux. Après le contrôle, ils s’alignent dos contre les parois extérieures du couloir. Le soldat les regarde un par un et les laisse passer dans la direction du bus qui va les conduire vers la salle de contrôle des passeports, lieu d’obtention des permis de sortie, lorsqu’ils sont accordés ! Les voyageurs ne peuvent rien apporter dans le bus à part les vêtements qu’ils portent. Les bagages sont mis par deux ouvriers palestiniens dans le coffre du bus resté ouvert pendant la traversée vers la salle, puis vers l’Egypte. Les gens montent alors dans le bus qui reste parfois en place de longues heures. Les voyageurs ne sont pas autorisés à ressortir du bus, ni à se lever, ni à parler à quelqu’un de l’extérieur, ce qui leur est de toute manière rendu impossible par la présence des murs de béton qui les séparent du reste du monde.

photo gallery: ©Taysir Batniji, Untitled (Gaza, 1999-2006)/The Border

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Dans la salle de contrôle, les passagers se présentent au guichet où des policiers palestiniens transmettent les passeports à des agents de sécurité israéliens cachés derrière des miroirs sans teint. Ce sont eux qui décident si la personne est autorisée à partir ou non. Durant toutes ces démarches, inutile de vouloir négocier avec les autorités, cela ne ferait qu’empirer la situation.

Le bus à coffre ouvert emmène finalement les voyageurs « autorisés » à la frontière égyptienne…

Là, après avoir déposé leurs passeports côté Egyptien, les voyageurs doivent attendre des heures avant de savoir si le passage leur sera accordé. Les familles et les couples obtiennent souvent le permis d’entrer en Egypte, ce qui n’est pas le cas pour les hommes voyageant seuls vers l’aéroport du Caire. Les officiers et agents de contrôle égyptiens gardent les passeports et ordonnent aux hommes seuls de rester dans un coin du grand hangar couvert de zinc qui sert de port terrestre entre Gaza et l’Egypte. Ils sont obligés d’attendre la fin de la journée. Alors, lorsqu’il n’y a plus de passagers, un bus escorté par des policiers les conduit à l’aéroport du Caire qui se situe à environ six heures de route. Durant ce voyage, une trentaine de minutes de pause est accordée aux passagers. À Rafa, les conditions sanitaires et alimentaires sont très précaires. Cela contribue à transformer le voyage en un véritable calvaire. À ceci s’ajoute l’attente qui peut se prolonger des heures, parfois même des jours. Ce phénomène s’accroît dans le sens Egypte-Gaza car les Israéliens décident des ouvertures et des fermetures des frontières de façon arbitraire et aléatoire, ce qui crée rapidement un encombrement du côté Egyptien.

Dans l’autre sens (de l’étranger à Gaza), dès l’arrivée à l’aéroport du Caire, aucun Palestinien homme voyageant seul n’a le droit d’entrer en Egypte. Même s’il ne le désire pas, il lui est interdit de sortir de l’aéroport sans escorte policière. Il sera donc conduit directement à la frontière palestinienne. Néanmoins, cette mesure est longue et coûteuse. Ainsi, aussitôt ces personnes à l’aéroport du Caire, leurs passeports leur sont confisqués et, comme à l’aller, ils sont priés de rester dans un coin de l’aéroport en attendant la venue d’un plus grand nombre d’hommes palestiniens. Ils sont ensuite conduits ensemble dans une salle dite de « transit », salle qui ressemble plutôt à un lieu de garde-à-vue. Les gens attendent là jusqu’à l’heure du départ du car vers la frontière palestinienne. Il est environ huit heures du matin. Cet endroit est situé dans une zone inférieure de l’aéroport, loin des regards des touristes et des voyageurs d’autres nationalités. Qu’importe l’heure à laquelle vous arrivez, le passage dans cette salle est obligatoire.

©Taysir Batniji, Transit #2, 2003. Private collection

 

Les conditions de santé et d’hygiène ne sont pas meilleures que celles du port terrestre. On n’y trouve ni à manger, ni à boire. De temps en temps, un agent de ménage (un adolescent) passe par là et, ceux qui le souhaitent, lui donnent de l’argent pour qu’il aille chercher pour eux de quoi se restaurer. La porte de cet endroit est gardée par des policiers, en civils la plupart du temps, qui, par manque de moyens informatiques, enregistrent les personnes, leur heure d’arrivée et leur numéro de passeport, à la main dans des gros cahiers. Les risques de fautes se trouvent ainsi augmentés, sans compter la perte de temps… Un bon nombre de complications… C’est pour cette raison que les policiers ne cessent de compter les personnes présentes chaque heure (ou presque) et de recompter parce que certains sont aux toilettes ou bien dorment et n’entendent pas quand on appelle leurs noms. Certains d’entre eux ratent parfois leur avion. Dans ce lieu se trouvent des personnes qui attendent depuis deux ou trois jours, voire une semaine, pour de multiples raisons : avion manqué, perte ou oubli de papiers, protestations…). Ici se croisent des personnes partant de Gaza vers l’étranger et inversement. Ceux qui partent vers l’étranger sont relâchés environ une heure avant le décollage de leur avion. Ceux qui vont à Gaza attendent le car qui va les conduire à la frontière, sans savoir combien de temps il va encore falloir attendre là-bas, en arrivant au poste frontière, dans les conditions citées auparavant. À Rafa, les voyageurs attendent plusieurs jours (durée variant d’une journée à une semaine) qu’ils soient des hommes seuls, des femmes, des enfants, des vieillards, malades ou en bonne santé, ils attendent dans le froid ou sous la canicule estivale jusqu’à ce qu’ils soient autorisés à traverser la frontière pour se rendre chez eux. La distance qui les sépare de leurs maisons est alors parfois inférieure à un kilomètre… Sans parler des multiples chantages pratiqués par certains gardes-frontières égyptiens contre les palestiniens. Des sommes variant entre 20 et 200 dollars de bakchich sont versées par certains usagers aux officiers et aux personnels travaillant à la frontière afin que leur passage soit facilité. Les passagers « payeurs » peuvent ainsi contourner, par exemple, la longue file de personnes et de valises restées immobiles depuis un moment. Seuls les VIP échappent aux contrôles draconiens…

Finalement, les Israéliens cèdent le passage à quelques centaines de personnes qui s’entassent de nouveau dans un bus qui les conduit au poste frontière israélien vers Gaza. Soulagé, le Palestinien est encore confronté à quelques heures d’attentes. Rien ne doit être mis dans les coffres qui demeurent ouverts. Les personnes montent avec leur valise dans le véhicule, ce qui le transforme en une véritable « boîte à sardine ». De nouveau, les voyageurs sont contraints à une fouille minutieuse des bagages et des personnes. À ce moment, l’ambiance est très tendue : tout peut arriver… Après cela, les Palestiniens sont confrontés au même rituel, la glace sans teint… Ce n’est qu’une fois le bus démarré vers la sortie du poste frontière que l’on ressent un certain soulagement.

L’interdiction et la restriction pratiquée côté israélien, ainsi que l’humiliation et le chantage pratiqué côté Egyptien ne sont qu’une pression supplémentaire employée contre les palestiniens afin de leur rendre la vie impossible, pour qu’à la fin, ils acceptent toutes les propositions qui leur sont faites comme des solutions. Mais est-il possible que les palestiniens, « dupés », cessent de revendiquer leurs droits ? Est-il envisageable qu’ainsi ils cessent d’être palestiniens ?

Septembre 2003

©Taysir Batniji, Transit 2004

 

Taysir Batniji Born in Gaza, in 1966. Taysir Batniji’s artwork, often tinged with impermanence and fragility, draw its inspiration from his subjective story, but also from current events and history. His methods of approach always distance, divert, stretch, conceptualize or simply play with the initial subject, offering, at the end, poetic, sometimes acrid point of view on reality. Already involved in the palestinian art scene since the nineties, he multiplied his participation, since 2002, in a number of exhibitions, biennials and residencies in Europe and across the world. His works can be found in the collections of many prestigious institutions of which the Centre Pompidou and the FNAC in France, the V&A and The Imperial War Museum in London, the Queensland Art Gallery in Australia and Zayed National Museum in Abu Dhabi.